La Cagole, un mythe marseillais

Elles ont la gouaille chevillée au corps, le maquillage tapageur et le nail art clinquant. Aux premiers rayons du soleil, elles sentent bon le monoï, relèvent leur jupe d’un ton, enfilent la chainette dorée autour de la cheville, et se «glossent » abondamment. Leurs QG ? Les restaurants du bord de mer formule « cocktail et transat ». Elles sont « cagoles » comme on dit à Marseille, et fières de l’être.

25 janvier 2018. Pamela Anderson, la bimbo la plus célèbre du monde, pose ses valises à Marseille où elle s’installe avec son compagnon, le footballeur Adil Rami. Un jour à marquer d’une pierre blanche dans la capitale des cagoles, ces marseillaises tape-à-l’oeil, pour qui cette arrivée inopinée résonne comme une consécration. Car même si elle ne possède pas tous les attributs de la « cagole traditionnelle », Pamela Anderson, en s’installant à Marseille, est passée officiellement du statut de bimbo à celui de cagole. Blonde, pulpeuse, outrancière, tout y est … l’accent en moins.

 

Pamela Anderson, nouvelle reine des cagoles

Si les Marseillais attendent, impatients, de la croiser sur les plages du centre-ville, aux Catalans ou au Prado, dans son célèbre une-pièce rouge, ils en oublieraient peut-être qu’à l’instar de la cagole contemporaine, Pamela Anderson est AUSSI une femme engagée. De ses visites à l’ambassade d’Equateur pour soutenir Julian Assange, le cyber lanceur d’alertes fondateur de Wikileaks, à son investissement dans la cause animale en passant par son appel à voter Mélenchon lors de la dernière présidentielle, Pamela Anderson n’est définitivement pas qu’une blonde écervelée. Oui, on peut être peroxydée et activiste, sexy et militante. Au fond, c’est aussi ça une cagole. Une femme qui prend la parole, qui “ l’ouvre ”, qui assume.

 

À Marseille on le sait depuis bien longtemps ! « Avec Pamela on a notre reine maintenant !  », s’amuse Cécile Hibernac, emblématique porte-voix des « Cagoles », groupe de supportrices de l’Olympique de Marseille affilié au MTP (Marseille Trop Puissant). Ce groupe de supportrices qui n’ont pas froid aux yeux a investi le virage nord du stade Vélodrome en 1997 lors d’un OM-PSG, devant des supporters médusés. Sur fond de musique disco et habillées de façon volontairement surjouée à la limite du vulgaire, elles ont “ foutu le oaï ” comme on dit à Marseille. Maquillées à outrance, elles portaient des perruques grises en l’honneur de Fabrizio Ravanelli et ont imposé leur style et leur vision de la féminité dans un milieu supporter alors quasi exclusivement masculin.

Par ailleurs, si déambuler en maillot échancré est tout naturel sur les plages californiennes, afficher une féminité tapageuse au sein d’une culture méditerranéenne machiste et patriarcale ne coule pas de source. La Cagole s’impose. Elle bouscule les codes…et les hommes. Alors que les droits des femmes sont au cœur des débats politiques et sociétaux, la Cagole marseillaise empoigne depuis longtemps le problème à bras le corps. Et le corps justement, c’est son arme. Femme libre par nature, sûre d’elle, elle assume son physique clinquant et sa féminité exacerbée. Son arrogance ostentatoire est sa principale défense, la cagole n’a peur de rien, “ elle craint dégun ”.

 

 La cagole inspire les artistes

 

Figure moderne du féminisme presque malgré elle – » son accent très prononcé tranche avec les allures distinguées qu’elle essaie de se donner «  selon l’analyse de Médéric Gasquet-Cyrussociolinguiste auteur du “ Guide de conversation : Le Marseillais pour les nuls ”- son franc-parler et son répondant choquent et fascinent à la fois. Une fascination telle, que des réalisateurs et écrivains s’en inspirent et les élèvent au rang de figure de la cité phocéenne. La comédienne et metteur en scène Silvia Massegur incarne sur les planches ce personnage emblématique dans le spectacle “ Les Cagoles ” de l’écrivain satirique marseillais Henri-Frédéric Blanc, qui dévoile les “ 63 facettes ” de l’icône marseillaise. “ Ce sont des femmes très humaines, elles ont un côté pur et brut ”, affirme cette parisienne d’adoption. Touchantes et drôles au théâtre, elles sont également invincibles dans la série de BD, “ Les Cagoles ”, du Marseillais Serge Scotto. Le scénariste qui a déjà adapté l’oeuvre de Marcel Pagnol a décidé de mettre en lumière “ cette déesse de la rue ”. Dans le premier épisode “ Les Cagoles contre Dracula ”, sorti en février dernier dans Fluide Glacial, elle est une super-héroïne, elle cultive le mystère de la superbe et ne se laisse impressionner par rien ni personne. “ C’est la seule femme au monde qui n’obéit pas aux diktats de la mode ”, constate Serge Scotto,  » elle a sa propre mode, ses propres codes et ne suit qu’un seul diktat: celui d’une féminité outrancière au service de sa grande gueule. Non seulement elle ne se laisse pas influencer par les défilés parisiens mais devient elle-même, une influenceuse « .

 

 La cagole fait vendre

 

Les communicants ne s’y sont pas trompés. Simone Darnaud est l’une des créatrices de la bière marseillaise “ La Cagole ” . Née de l’imagination de deux amis lors d’un apéro dans un cabanon de Sormiou, célèbre calanque de la pointe sud de la ville, cette mousse a tout ce que l’on peut attendre d’une cagole : un vrai tempérament et beaucoup de parfum !  » Choisir le nom La Cagole c’était un peu rendre hommage à toutes ces femmes méditerranéennes qui travaillaient à l’époque dans les usines de dattes et qui vendaient parfois leur charme pour arrondir leurs fins de mois « , raconte la chef d’entreprise.  » On était vraiment soucieux de garder l’origine du terme. La popularité de la cagole donne un côté convivial au produit. Les touristes l’achètent pour la ramener de leurs vacances, c’est un peu comme rapporter avec soi un bout de l’identité marseillaise. La cagole finalement, c’est un peu la mascotte de Marseille ”. Sous sa démarche aguicheuse et son langage outrancier, la cagole serait donc une allégorie de la cité phocéenne, une ambassadrice de son universalité. Rebelle, clinquante, authentique, drôle et insolente, Marseille incarne la cagole des villes françaises. Celle que l’on raille pour ses manières légères, son langage imagé et son mauvais goût souvent assumé mais que l’on admire secrètement pour son charisme et le charme que lui donne sa liberté. Celle qui préfère se caricaturer avant que l’on ne le fasse pour elle. Celle qui, finalement, assume ce qu’elle est: un symbole d’indépendance absolu, un pied de nez au politiquement correct.

 

Clémence Boeuf

 

Crédit photo : JTTAWB

https://www.instagram.com/jttaw/

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