J’ai toujours voulu être une femme

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Son enfance, son travail, ses peurs, les tensions familiales et sa relation avec sa fille. Rencontre avec Sophie, femme transgenre qui a décidé d’entamer sa transformation le premier janvier 2018.

« – Papa ? Tu es transgenre ?

– Sais-tu au moins ce que veut dire être transgenre ma chérie ?

– Oui papa, une personne transgenre c’est quelqu’un qui ne se sent pas bien dans son corps et qui veut changer de sexe. »

Silence. Pas de doute. Du haut de ses 13 ans, la minote a bien compris le sens de ce mot.

Mais papa, tu n’as pas répondu à ma question. Tu veux devenir une femme ? 

Oui ma chérie, j’ai envie de devenir une femme. »

Mai 2018, dans la maison familiale, devant sa belle-mère ainsi que sa femme Nicolas, aujourd’hui Sophie, répond à la question de sa fille et lui raconte brièvement son histoire et ses raisons.

Avant cet épisode, jamais elle n’avait abordé le sujet avec sa fille. Elle s’était juste contentée de glisser quelques indices par-ci, par-là. « Je regardais pas mal de vidéos de Laura Badler, une Youtubeuse transgenre de 27 ans. Ça me réconfortait dans ma transition », explique Sophie, avant de poursuivre. « Au début je supprimais les historiques, parce que je regardais ces vidéos sur YouTube, mais à la télévision. Puis, petit à petit, je les ai laissés et ma fille a fini par tomber dessus et comprendre. »

Les tensions familiales

Au début, tout se passait bien avec sa fille. Peut-être est-ce parce qu’elle n’avait pas vraiment conscience de ce qui lui arrivait ? Mais avec le divorce, la vente de la maison et le déménagement, les relations se sont détériorées.

Tout à coup, elle reçoit un message. C’est son ex-femme. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est salé. En voici un passage : « Mais pense 5 minutes à quelqu’un d’autre que toi ! Pense à ta fille ! Tu as mis 45 ans à assumer ce que tu es et ta fille qui a 13 ans devrait tout assumer en moins de 6 mois ? (…) Tu as détruit une famille et tu es en train de détruire ta fille. Son père est mort pour elle ! » Malgré tout, Sophie lui envoie tous les jours un message pour lui dire qu’elle l’aime.

Un besoin depuis l’enfance

Comme le dit son ex-femme, Sophie a mis 45 ans à assumer et franchir le cap de la transformation. Car cette envie, ce besoin d’être une femme, la torture depuis l’enfance. « J’ai commencé à me travestir à mes 5 ans. Et ça s’est accentué en grandissant. J’allais même jusqu’à aller en boîte habillée en fille. J’aimais ça mais je faisais en sorte qu’on ne me reconnaisse pas et je n’en ai jamais parlé à personne à ce moment-là », souligne-t-elle en levant les yeux au ciel comme pour se souvenir de ces instants.

Elle n’en a jamais parlé à qui que ce soit car quand elle était au collège, un adolescent s’est pendu. Et quand il a été découvert, il était habillé en fille. « Je me suis demandé si ça n’allait pas m’arriver à moi aussi » se souvient-elle. La peur de perdre ses amis, trop jeunes pour comprendre, était également omniprésente.

Premier coming-out

Pompier volontaire pendant 10 ans, Nicolas pratique des sports extrêmes, construit sa maison de ses propres mains. Il demande même la main de celle qui deviendra son épouse. Quand elle était encore un homme, Sophie a tout tenté dans l’espoir de voir son envie de devenir femme disparaître, comme par enchantement. En vain. Et s’il a été compliqué pour elle de s’exprimer sur sa dysphorie de genre, l’annonce de la grossesse de sa femme en 2004 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Suite à cette nouvelle, Sophie prend son courage à deux mains et fait son premier coming-out à sa femme. Une annonce qui fait des dégâts. « Elle est suivie par un psychiatre depuis que je lui ai dévoilé mes intentions », confesse Sophie. S’en suivent plus de dix ans de frustrations et de peur que son secret soit révélé. « La mère de ma fille me menaçait de tout dire à mes parents et à mes proches », se rappelle-t-elle.

Le déclic

Prisonnière dans son corps d’homme, Sophie continue pendant ces années de privation, de travestir l’homme qu’elle était et de cultiver cette envie de devenir une femme. En avril 2017, emplie de doutes, elle fait une rencontre qui va changer sa vie. « J’ai rencontré un homme. Il était marié avec des enfants. Il voulait une relation charnelle avec moi. Je l’ai rencontré en tant que femme et j’ai compris que c’était vraiment moi. J’étais la personne que j’ai toujours voulu être », confie-t-elle.

Chamboulée par cette rencontre, Sophie, commence à faire du sport régulièrement, à changer ses habitudes alimentaires, à perdre du poids, puis en octobre 2017, elle franchie une autre grande étape dans sa volonté de transformation. « J’ai commencé prendre des hormones. Cela a été un très grand moment pour moi », détaille-t-elle, pleine d’enthousiasme, comme si tout désormais allé devenir plus simple. Reste maintenant à le dire aux proches.

L’annonce

Mais avant de l’annoncer à sa mère, à sa femme de l’époque, et plus généralement à ses proches, Sophie en parle à Charlotte. C’est elle que Sophie choisie pour se confier. Pourquoi elle et non pas sa famille ? Tout simplement parce que Charlotte était un homme avant de devenir une femme et donc elle connait cette situation. « C’était la première fois que je rencontrais une personne transgenre en vrai. J’en côtoie depuis 2002 grâce à internet et aux réseaux sociaux comme My Space ou Facebook, mais je n’en avais jamais rencontré », révèle Sophie entre deux gorgées de café. « Cette rencontre m’a conforté dans ma décision de franchir le pas. J’ai toujours voulu être une femme. »

Le dire à une personne transgenre est une chose, l’annoncer à sa famille en est une toute autre. Comment déclarer sans choquer, sans blesser ? Quels mots employer ? Quelle tournure de phrase ? Et surtout quand le dire ? Autant de questions qui n’ont vraisemblablement pas effleuré l’esprit de Sophie. « J’ai dit à ma mère que j’allais devenir une femme, tout simplement. C’était cette année, le 1er janvier », confesse-t-elle. « Ça a été un électrochoc pour ma mère. Elle comprenait sans comprendre. On a passé 2h30 au téléphone. » Sur le visage de Sophie se dessine ce qui semble être un « ouf » de soulagement après avoir évoqué cet épisode de sa vie encore tout frais. Forte du courage qui lui a permis de se confier à sa mère, Sophie décide d’en parler à sa femme le 2 janvier. Ce deuxième coming-out ne passe pas et les relations commencent, doucement, mais sûrement, à se détériorer.

Le carcan médical

Annoncer cette volonté de devenir une femme à sa famille est un bon début, mais il faut également s’adresser à un médecin, être suivi par un psychiatre et subir une batterie d’opérations esthétique parfois extrêmement coûteuses. Et pas toutes sont prises en charge par la sécurité sociale. « J’ai fait des implants capillaires deux fois, j’ai également fait l’épilation au laser. » Sophie énumère les interventions qu’elle a déjà subies, tout en précisant le montant débourser pour chacune d’elle. 2 000 euros pour le laser et 10 000 euros pour les implants capillaires. Soit déjà 12 000 euros qui ne sont pas pris en charge. Tout cela sans citer les consultations chez le médecin, les entretiens avec le psychiatre ainsi que les différents rendez-vous avec des spécialistes basés sur Paris.

« On a l’impression qu’ils veulent nous dissuader, nous remettre dans leur droit chemin « 

Et le carcan médical continue. Pourtant sûre de vouloir franchir le cap de la transformation, Sophie est obligée de passer devant une commission de spécialistes composée d’un chirurgien, d’un psychiatre et d’un endocrinologue. Cette étape dure des mois et en plus, il y a comme un hic. « Ces gens ne sont même pas de vrais spécialistes. Ils se sont autoproclamés « spécialistes » de la question, mais ils ne jouent pas le jeu vis-à-vis de notre situation. Ils n’arrêtent pas de nous demander si on est sûr à 100%. On a l’impression qu’ils veulent nous dissuader, de nous remettre dans leur droit chemin », enrage Sophie.

Pour finaliser sa transformation, elle devra passer entre les mains des plus grands professionnels en la matière. Plusieurs options s’offrent à elle. En Angleterre, les frais de l’opération, soit environ 14 000 euros, sont à la charge de la personne opérée. La Thaïlande, présente les mêmes formalités que l’Angleterre, à peu de choses près. La Thaïlande est 1 000 euros moins cher et les plus grands spécialistes de ces opérations sont dans ce pays. Et puis vient la France. Outre le prix, 30 000 euros en parti remboursés par la sécurité sociale, la France a une liste d’attente de 4 ans pour ces opérations. Un inconvénient de poids en contradiction avec le tabou social que représente la trans identité.

Le boulot

Même si cette liste d’attente est longue et que le nombre de personnes transgenre augmente chaque année, le tabou est immense au sein de la société et des entreprises. Et si les regards des autres n’ont aucune importance pour Sophie, le fait d’en parler à ses directeurs et ses collègues de boulot l’angoisse. « Une de mes grosses craintes était de perdre mon boulot », confie Sophie.

Mais plus de temps pour les doutes, l’occasion d’en parler se présente et il faut la saisir. Un séminaire à Lyon. Tous les directeurs et les collègues de boulot y sont présents. Ils sont tous là, dans cette salle de réunion.

« Je n’ai pas de jugement à avoir, la trans identité je connais, la secrétaire de ma femme est une femme transgenre »

Le stress monte, mais il est impossible de faire marche arrière. Quand elle rentre dans la salle, personne ne la reconnaît. « J’avais envoyé un mail à mon directeur le matin même avant la réunion. Je l’ai vu le lire sur son téléphone », raconte-t-elle comme si elle y était. « Puis il est venu me voir à la pause et il m’a dit « Je n’ai pas de jugement à avoir, la trans identité je connais, la secrétaire de ma femme est une femme transgenre. Tu es une personne compétente et je suis avec toi. » Ça m’a soulagé ! »

Vient maintenant le tour des collègues à être mis au courant, tous, un par un. Là aussi les réactions sont bonnes. Tous ont fait preuve de compréhension et même parfois d’humour. « Il y a un de mes collègues de boulot qui m’a dit que j’étais la femme avec le plus de couilles qu’il connaissait. » Une blague qui fait encore sourire Sophie, quelques mois après, mais qui représente bien le combat de cette femme pour être qui elle a toujours voulu être, sans jamais rien lâcher.

Les Réseaux sociaux

Comme pour dire à tous ses détracteurs « je m’assume, je suis qui je suis que ça vous plaise ou non », Sophie partage toute sa vie sur Facebook. Sa participation « illégale » au Marseille-Cassis, ses opérations ou encore ses soirées entre copines, tout y est. Une tendance qui pourrait paraître bizarre, voire narcissique à première vue. Mais la vérité est toute autre.

 » J’ai eu une vie parallèle pendant des années. J’avais deux comptes Facebook différents et trois téléphones »

J’avais donc énormément de contacts de transgenres à travers la France et le monde entier et je voulais partager ma transition avec eux », explique-t-elle.

L’utilité première des réseaux sociaux est de pouvoir communiquer avec les personnes qu’on ne voit pas tous les jours. Cet aspect, Sophie l’a bien compris et son activité incessante sur Facebook ne s’adresse pas uniquement à ses amis virtuels. « Si je partage autant sur les réseaux sociaux, c’est aussi pour que ma fille voit que je suis une personne normale, que je ne suis pas un monstre. J’espère que ça pourra nous permettre de se reparler un jour… ».

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