C’est au tour de l’Irak de s’attaquer au titre de Childish Gambino avec « This is Iraq ». Sur le même principe que « This is America », un refrain chanté et un couplet rappé qui dénoncent frontalement l’ingérence américaine en Irak pendant près de quinze ans. Entretien avec le rappeur, I-NZ.
Nouvelle reprise cinglante du titre « This is America » de Childish Gambino, dans lequel le rappeur américain dénonçait de façon brutale le racisme ambiant aux Etats-Unis, la violence et les bavures policières à l’encontre de la communauté afro-américaine. Devenu viral avec 350 440 434 vues sur youtube, ce clip coup de point en a inspiré plus d’un. La France, la Malaisie, le Nigéria, l’Irak et d’autres pays ont repris cette musique, comme outil de dénonciation. C’est le cas du rappeur néo-zélandais I-NZ qui s’est emparé des codes du titre « This is America » pour dénoncer à son tour les problèmes en Irak. D’abord l’ingérence des Etats-Unis, et surtout les dégâts engendrés: viols, condition de détention des prisonniers, drogue.
I-NZ, on te découvre en France avec ta reprise de Childish Gambino « This is Iraq », peux-tu te présenter?
I-NZ : Mon nom de scène est I-NZ, mais je m’appelle Majid Al Kabban et j’ai 33 ans. C’est drôle car en me cherchant sur google je tombe sur le service d’immigration de la Nouvelle-Zélande et finalement cela me représente. Je suis né en Ecosse, j’ai grandi en Nouvelle-Zélande et mes parents sont d’origine irakienne. Le I représente l’Irak et le NZ pour la Nouvelle-Zélande.
Quelle relation entretiens-tu avec l’Irak et son conflit? Quels souvenirs d’enfance gardes-tu?
I-NZ : Je suis lié à l’Irak par mon sang et ma famille qui vit toujours la bas. Je n’ai jamais vécu la-bas ou pu visiter mon pays mais je partage un grand sentiment de patriotisme et d’appartenance. Tout ce que je sais de l’Irak provient d’histoires que mes parents ont partagé avec moi mais aussi des médias. Les conflits qui se jouent en Irak m’attristent évidemment et c’est difficile de ne pas être en mesure de visiter son pays natal à cause de décennies d’instabilités politiques. Vous pouvez remarquer que beaucoup d’irakiens de ma génération ou de la génération qui suit n’ont jamais eu le luxe de visiter l’Irak. C’est une triste réalité et c’est devenu une sous-conséquence des multiples guerres.
Penses-tu qu’en tant qu’enfant d’immigrés irakiens, élevé en Nouvelle-Zélande, ta vision du conflit est différente?
I-NZ : Je pense que la guerre m’a impacté de façon différente d’une personne qui vit en Irak ou qui a grandit la bas évidemment. J’ai eu la chance de ne pas avoir été témoin des conditions de guerre et d’avoir eu une éducation confortable dans un pays sans conflit. Malgré tout, ça ne veut pas dire que je ne suis pas touché par ce qu’il se passe la bas car j’ai des membres de ma famille en Irak qui ont été affecté de la pire façon qu’il soit à cause de l’invasion illégale. Ceci étant dit je pense que mon point de vue est le même que la majorité des irakiens qui vivent la bas et qui sont patriotiques. Peut être que certaines personnes pensaient différemment avant l’invasion mais je doute que quiconque puisse avoir des doutes quant aux quinze années de dévastation et de destructions causées par l’ingérence de puissances étrangères.
Quand l’humanité cède à la corruption, l’avarice et l’argent, alors on se doit d’élever nos voix et s’opposer à ça.
Pourquoi choisir de reprendre la musique de Childish Gambino pour dénoncer les problèmes en Irak?
I-NZ : La musique originale du rappeur est pour une moi une façon intelligente de sensibiliser au racisme et la violence armée aux Etats-Unis. Même si le sujet que je traite est totalement différent de la musique originale, les thèmes sous-jacents sont similaires. Quand l’humanité cède à la corruption, l’avarice et l’argent, alors on se doit d’élever nos voix et s’opposer à ça. La musique « This is America » s’est présentée comme l’opportunité idéale et la plateforme idéale pour diffuser un message sur l’Irak, donc j’en ai profité.
Le clip commence avec un vieil homme qui se fait tuer par un prisonnier irakien, il se finit avec le même vieil homme. Peux-tu nous expliquer la symbolique?
I-NZ : C’est une image pour représenter la transition entre l’ancien Irak, à l’actuel, laid. Le vieil homme revient à la fin de la vidéo, comme l’espoir que le pays redevienne un jour aussi beau qu’avant, malgré toutes les effusions de sang qu’il continue à y avoir.
Quels sont tes souvenirs de l’intrusion américaine sur le sol irakien?
I-NZ : J’étais dans un lycée en Nouvelle-Zélande à l’époque où c’est arrivé. Je me souviens avoir du faire face à beaucoup de racisme et heureusement à l’époque cela n’a pas duré longtemps. Bien-sur je me rappelle de l’image sordide de l’invasion avec notamment les images de la prison d’Abou Ghraib. L’idée était de ramener dans le clip le plus d’images marquantes comme la prison, les soldats, la violence et je pense que je m’en suis bien sorti.
[ Pour rappel, en 2004, la presse révélait au monde les images glaçantes de la prison Abou Ghraib. On y découvrait les conditions de détentions inhumaines des prisonniers irakiens, physiquement et sexuellement abusés, torturés et mis en scène dans des positions humiliantes par les soldats américains: dénudés, des masques sur le visage, à quatre pattes avec une laisse de chien autour du cou. ]
Tu as choisi le 4 juillet pour publier ton clip, jour de l’indépendance des Etats-Unis. Pourquoi?
I-NZ : Je n’avais pas prévu de le faire initialement. Toutefois avant le jour du tournage, le directeur nous a fait remarqué qu’on était à quelques jours de l’indépendance des Etats-Unis et que ce serait symbolique de diffuser la vidéo à la même date. Le jour où les américains célèbrent leur indépendance, nous voulions rappeler au monde comment l’Irak a été traité.
Personne n’a encore été tenu responsable devant la justice de la destruction illégale de l’Irak et de tous les crimes de guerre commis. Personne ne devrait avoir d’immunité, peut importe son statut ou le pays qu’il représente.
Pourquoi faire cette vidéo maintenant? Est-ce une urgence liée à l’actualité du pays?
I-NZ : L’Irak a traversé une période très difficile au cours des quinze dernières années et c’est encore vrai aujourd’hui. Certaines zones n’ont même pas accès aux premières nécessités comme de l’eau potable ou l’électricité. Les gens essayent enfin de faire entendre leurs voix et de protester contre les conditions de vie terribles qui leurs sont offertes.
Toutefois je ne l’ai pas fait à cause de l’actualité liée à l’Irak. Je l’ai fait pour rappeler à tout le monde que ces dernières années ont été dures et que personne n’a encore été tenu responsable devant la justice de la destruction illégale de l’Irak et de tous les crimes de guerre commis. Personne ne devrait avoir d’immunité, peut importe son statut ou le pays qu’il représente.
Quels sont les retours que tu as eu?
I-NZ : La plupart des retours ont été positifs et d’un grand soutien. Je savais à quoi m’attendre en publiant la vidéo en sachant que le sujet était dur et qu’il aurait pu générer des commentaires durs. Dire la vérité peut parfois coûter cher mais je n’ai aucun regret d’avoir fait ce que j’ai fait. Je me concentre sur les aspects positifs, ça me motive à aller de l’avant.
Quels sont tes prochains projets?
I-NZ : J’ai quelques morceaux en préparation. J’aime faire de la musique avec du sens mais j’aime aussi en faire de la plus légère et amusante. J’espère que vous entendrez très prochainement mes prochains morceaux.
Soukaïna Skalli
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