Comme chaque année depuis 2004, le 30 avril est la journée mondiale de la non-violence éducative. Une journée qui prend de plus en plus d’ampleur et qui vise à mobiliser l’opinion publique sur ce que l’on appelle les « violences ordinaires » subies par les enfants à travers le monde. Un moyen, peut-être, de le changer…
Terrorisme, harcèlement, viols, injures, bizutages, incivilités… L’actualité contemporaine est imprégnée d’une violence inouïe devenue presque banale et généralisée. Cette violence s’immisce jusque dans les foyers ou les institutions, influençant les modèles éducatifs. Des comportements souvent reproduits, de génération en génération, calqués sur les modèles des aïeux, faisant des victimes d’aujourd’hui les potentiels bourreaux de demain.
Un engagement associatif
Lutter contre cette violence qui peut être physique, verbale ou psychologique, c’est le combat que mène Olivier Maurel . Ce père de cinq enfants, ancien professeur de français et auteur d’une dizaine de livres sur la violence, armée d’abord, puis sur la violence éducative, a fondé en 2005 l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO). Son objectif ? Faire prendre conscience de l’impact de cette forme de violence parfois jugée utile et nécessaire de façon totalement obsolète, pour éduquer les enfants. « L’humanité a eu recours à cette forme de violence depuis au moins cinq mille ans, dans toutes les sociétés traditionnelle (à l’exception souvent des sociétés de chasseurs-cueilleurs) jusqu’au XXe siècle partout de façon extrêmement brutale (bastonnades, flagellations,etc.). Et ce pendant toutes les années où le cerveau des enfants se forme. », analyse-t-il.
Une transmission de la violence par la violence qui semble poursuivre un cycle sans fin et dont l’OVEO se veut être aujourd’hui l’adversaire. « La nocivité de la violence éducative est due surtout à l’humiliation qu’elle provoque. La violence verbale surtout : « Tu es nul, bon à rien, tu feras le trottoir… ». Mais aussi la violence physique qui est toujours humiliante en soi, même quand elle ne l’est pas volontairement (fessée déculottée ou propos humiliants devant toute la classe). L’enfant qui subit cela, surtout quand il est tout petit, n’a aucune possibilité de contester ces jugements et se les assimile : « Je suis nul, bon à rien, etc. » C’est la porte ouverte au manque d’estime et de confiance en soi, et plus tard à la dépression. Et aussi, plus généralement, à l’adoption de l’idée que la nature humaine est mauvaise. En fait, la violence éducative engendre toute une culture pessimiste sur la nature humaine. », déplore l’ancien professeur.
Source : OVEO, Stop VEO et Agence Publicis Conseil
(http://www.oveo.org)
A petite échelle, c’est un adulte en devenir qui est fragilisé par ce type de violence. Mais à échelle plus large, c’est toute une société qui se retrouve dangereusement impactée par cette forme de brutalité. « Un des pires effets de la violence éducative est de forcer les enfants à s’endurcir, à se blinder, à résister à la souffrance c’est-à-dire à ne plus ressentir leurs émotions. Ils risquent ainsi de perdre leur capacité innée d’empathie. Or, l’empathie est le véritable frein interne à la violence : si je fais mal à autrui, je souffre aussi, donc j’évite de faire mal. Quand un individu ou toute une société a perdu cette capacité à cause de la violence individuelle ou collective de son éducation, toutes les cruautés deviennent possibles « sans état d’âme », alarme Olivier Maurel.
Une lutte politique
Si la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe se sont engagés à mettre un terme à tous les châtiments corporels infligés aux enfants, la France est l’un des pays européens les plus en retard quant à la législation autour des châtiments corporels. Mais les défenseurs de la non-violence éducative voient en la proposition de loi déposée le 22 février dernier visant à interdire les violences éducatives ordinaires (VEO) et soutenue par la ministre de la santé Agnès Buzyn, un nouvel espoir de législation. Les jours de la fessée seraient donc comptés…
C’était pourtant, déjà en 2010, le cheval de bataille d’Edwige Antier. Cette pédiatre, auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation, l’enfance et la famille et ancienne chroniqueuse sur France Inter et France Info, était en 2010 députée UMP à l’Assemblée Nationale. Elle fait alors la Une de l’actualité en déposant un projet de loi visant à abolir les châtiments corporels infligés aux enfants. « C’était mon devoir en entrant à l’Assemblée Nationale de dire que la France devait abolir la main levée sur les plus faibles, les êtres en devenir. Ma formation et mon expérience de pédiatre me donnaient la légitimité pour dire combien cela est toxique pour toute notre société, et contraire à notre engagement européen de protection des droits de l’enfant. », explique l’ancienne députée.
Pointer du doigt les violences éducatives notamment corporelles, c’est aussi pour Edwige Antier, une mise en garde contre leurs conséquences. « Tous ces effets néfastes que je constate depuis tant d’années sont aujourd’hui démontrés par les neurosciences. La violence envers un enfant impacte cet enfant mais aussi ceux qui en sont témoins, c’est un terrible message à toute la société (…) Moi qui les suis comme pédiatre depuis deux générations, je suis toujours aussi admirative de l’extraordinaire capacité de l’enfant à apprendre, à s’adapter à l’environnement, à progresser, à entrer en empathie avec les autres humains. » Et de conclure : « Chaque enfant que vous élevez sans violence, dans le respect de son développement, c’est une lumière que vous gardez allumée et qui en éclairera d’autres… ».
Source : C à vous
Une nécessaire remise en question
Si la France a tardé à légiférer sur le sujet c’est que remettre en question un modèle éducatif de plusieurs milliers d’années n’est pas si aisé. Preuve en est la violence de certaines réactions lorsque l’on aborde la législation dans le domaine éducatif. Une prise de conscience sociétale ne peut se faire sans prise de conscience individuelle. C’est cette introspection que prône Linda Bendjafer, psychologue depuis plusieurs années. «Prendre conscience que mon comportement possède bien souvent son origine dans des schémas familiaux que je ne cesse de reproduire est la première condition pour s’en détacher et amorcer un changement radical de mon comportement. C’est ce qui devrait être à la base de toute éducation. Sans cette prise de conscience, ce sont des pathologies, de la souffrance et des désordres en tous genres qui se répercutent au sein des familles et plus largement, au sein de notre société. »
Alors y aurait-il une relation de cause à effet implacable ? Une sorte d’hérédité néfaste, violente et sociétalement largement tolérée ? Peut-on vraiment se défaire des traumatismes de l’enfance pour être un meilleur parent ? Pour Linda Bendjafer, la réponse est claire. « Tout est réparable et la notion même de résilience est là pour le prouver. Il s’agit d’aller chercher au fond de nous-mêmes les facteurs de résilience qui y dorment et ne demandent qu’à s’exprimer. (…) Si chacun de nous faisait un travail de conscience sur son passé et son comportement actuel en mettant des mots sur ses maux, le monde s’en trouverait assurément transformé. »
Source : Havre De Savoir
En mettant en lumière ces violences ordinaires dont chacun peut être à la fois victime, coupable et complice, cette Journée interpelle l’ensemble de la société sur son modèle éducatif et la conception même de « violence ». Revenir sur ses propres traumatismes pour se remettre de ses maux et éduquer dans la bienveillance. Un combat de chacun, une éducation à la douceur, à l’empathie… pour un monde meilleur. Car comme l’écrivait Roger Mondoloni, « Changer le monde commence par se changer soi-même ».
Clémence BŒUF
A voir aussi:
http://www.oveo.org/
https://lumieredepsy.fr/
http://www.edwigeantier.org/