Herbert Traube, ce déporté autrichien devenu français

Herbert Traube et Françoise Nyssen

Lors de l’inauguration d’une nouvelle pièce d’exposition au camp des Milles à Aix-en-Provence nous avons rencontré celui qui a fait partie, il y a 76 ans, de la longue liste de déportés envoyés dans ce camp, car victime du gouvernement de Vichy, Herbert Traube.

Né à Vienne le 15 Juillet 1924, Herbert Traube fuit son pays après « la Nuit de Cristal » en 1938. Alors âgé de 17 ans, Herbert se retrouve en France avec sa mère, loin de son pays en guerre. Ils sont, tous deux amenés à Villeneuve-de-berg en Ardèche, mais seront séparés après avoir passé un été ensemble. Le jeune autrichien est déporté dans le camp d’accueil de Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques où il apprend, quelques mois plus tard, la mort de sa mère, de malnutrition et par manque de soins. Autorisé à assister aux obsèques, il s’enfuit direction Marseille où il entre en résistance. « Je participe au premier mouvement de résistance dans la cité phocéenne. ». 

 

Itinéraire d’un résistant devenu marseillais

Il raconte avec émotion ses débuts dans la résistance marseillaise, comment il allait taguer les murs la nuit d’un V comme victoire, comment il distribuait des tracts contre ce gouvernement qui détruisait son pays d’adoption, l’anonymat et l’ambiance angoissante des réunions nocturnes auxquelles peu de personnes participaient, et comment il a été arrêté lors de la rafle d’Août 1942. Il est alors interné dans cette ancienne usine de tuile désaffectée et réaménagée de façon vétuste: le Camp des Milles. Comme lui, nombre d’étrangers venus d’Allemagne ou d’Autriche y ont été envoyés à cause de leur nationalité. D’abord considérés comme des réfugiés, il finiront traités comme des “étrangers indésirables”.

 

Le camp des Milles (c) Wikipédia

On ne comprenait pas comment ce pays qui était censé prôner les Droits de l’Homme et nous protéger, était devenu  un pays collaborateur de nos bourreaux. 

“Le camp des Milles c’était très difficile parce qu’on sentait l’angoisse, l’incompréhension. Les gens que j’ai rencontrés étaient en France depuis quelques mois, et on ne comprenait pas comment ce pays qui était censé prôner les Droits de l’Homme et nous protéger, était devenu un pays collaborateur de nos bourreaux. Il y avait des trains qui partaient souvent et on ne savait pas où ils allaient. Cela nous menait à un désespoir total car on s’interrogeait beaucoup”, raconte Herbert Traube.

Mais grâce à son courage, il échappera au pire. Puisque pour fuir un convoi qui devait partir le lendemain matin vers Drancy*, le jeune homme s’est caché une nuit durant dans les combles de l’ancienne usine. Malheureusement, il est rattrapé par des gardiens alors qu’il tente de s’échapper du camp. Cette action téméraire lui fera gagner deux jours. Finalement, il sera finalement emmené dans un des wagons, à la destination encore inconnue : “Les femmes pleuraient, les enfants criaient. C’était horrible, et on ne savait toujours pas où on allait” se rappelle-t-il. Il réussit malgré tout à fuir le train en marche le 14 septembre 1942 : “Les fenêtres comportaient deux barreaux horizontaux, j’ai passé ma tête pour regarder dehors lorsque quelqu’un m’a dit “si ta tête passe, ton corps aussi. « Ni une ni deux, j’ai passé mes jambes en premier, on m’a aidé car ma poitrine ne voulait pas passer et j’ai atterri dans un fossé rempli de ronce”, se remémore Herbert Traube.

« C’est l’aboutissement de mon action de résistant et de combattant, un acte de gratitude pour ce pays qui m’a sauvé de la déportation. »

Une fois à terre, il décide de repartir direction: Marseille « parce que c’est le seul endroit en France que je connaissais « , explique-t-il. Ce sera sans bagage. Dans la précipitation il oublie son unique valise, dans ce wagon de l’enfer . Arrivé en ville, le rescapé se lie d’amitié avec un autre résistant. Ce dernier lui explique comment s’engager dans la Légion, « Il me conseille de me faire passer pour un Luxembourgeois et de ne surtout pas signaler que je suis juif » témoigne Herbert. Et le stratagème fonctionne. Le 6 novembre 1942 il quitte donc Marseille . Il embarque direction l’Algérie, , un peu avant l’arrivée des troupes allemandes. Il participera plus tard au débarquement des forces alliés en Provence. Le 8 mai 1945, il célèbre, les armes à la main, la libération de l’Autriche, ce pays natal d’où il avait été chassé quelques années plus tôt.

De retour en France, il demande la nationalité française qui symbolise selon lui « l’aboutissement de mon action de résistant et de combattant, un acte de gratitude pour ce pays qui m’a sauvé de la déportation« . Il réside depuis lors dans le sud de la France. Aujourd’hui, face à la montée des partis extrémistes identitaires dans de nombreux pays d’Europe, y compris la France, il ne cache pas son inquiétude.

* Drancy était de 1941 à 1944 un camp d’internement français où les déportés étaient parqués avant d’être envoyés en camp d’extermination.

 

Aurore Murat

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