“ Il y a des gamins extrêmement sous pression dans leurs cellules familiales”: chronique d’une assistante sociale à la protection judiciaire de la jeunesse

Chronique d'une assistante sociale pjj

Pour nos portraits du mois, nous sommes allées nous heurter au quotidien de ces héros de l’ombre qui, sans supers-pouvoirs, donnent leur maximum pour nous protéger et nous aider, au mieux, à traverser ce tumulte épidémique. Aujourd’hui Choof vous fait voir à travers les yeux de Lila, assistante sociale à la protection judiciaire de la jeunesse.


Durant ces deux mois de confinement, beaucoup de professions ont été directement impactées par cette crise sanitaire, chacune avec des enjeux différents. Pour Choof, nous avons rencontré une assistante sociale à la protection judiciaire de la jeunesse. Au sein de cette direction du ministère de la Justice, l’enjeu du maintien social s’est hissé en tête des préoccupations. Qu’ils soient en centres éducatifs fermés, en foyers, en milieux ouverts, en centres éducatifs renforcés ou en détention (établissements pénitentiaires pour mineurs ou quartier mineur dans des prisons pour majeur), les professionnels de la PJJ ont dû faire face à certaines situations complexes.

« La plus grosse difficulté je la situe à deux niveaux. D’abord le suivi en pointillé des jeunes, et notamment ceux qui sont en détention« 

« L’un des rôles de l’assistante sociale est de réaliser des mesures judiciaires d’investigation éducative. Ce sont des mesures ordonnées par un juge pour enfant, dans le cadre de l’enfance délinquante, criminelle ou en danger. Pendant 6 mois, on doit réaliser une enquête pluridisciplinaire » nous explique Lila*, par téléphone. C’est en 2012 que la jeune trentenaire décroche son diplôme d’assistante sociale, et décide de se spécialiser dans la protection judiciaire de la jeunesse.

Repenser la routine de travail

Avant la généralisation de la pandémie et l’annonce du confinement, la routine de travail de cette assistante sociale était aussi réglée que du papier à musique. Entre les rendez-vous à la maison du Droit, ceux à la demande du parquet, les rencontres avec les jeunes ou encore les entretiens à écrire, ses semaines étaient bien remplies.

« On ne sait pas comment vont les jeunes, seulement qu’ils ont des téléphones cachés et ils appellent leurs parents« 

« Pour les mesures d’investigation, on voit les gamins selon un protocole. On rencontre la famille entre 8 et 10 fois, sur mesure judiciaire d’investigation éducative, soit au service ou à domicile. Il arrive parfois que des entretiens soient réalisés à distance » détaille la jeune femme. Alors, à l’annonce du confinement, la routine bien huilée de la trentenaire a rapidement été chamboulée.  « La plus grosse difficulté je la situe à deux niveaux. D’abord le suivi en pointillé des jeunes, et notamment ceux qui sont en détention. On ne peut pas assurer de suivi,  mais en même temps, ce sont des jeunes en détention. Il y a d’autres instances qui sont là pour gérer en cas de pépin » explique Lila.

« Nous, on a pas de relais intermédiaire, donc on ne peut pas aller voir les jeunes. Le Spip ( agent de service pénitentiaire d’insertion et de probation) ne peux pas les rencontrer, donc on ne sait pas comment vont les jeunes. On sait seulement qu’ils ont des téléphones cachés et ils appellent leurs parents » ajoute-t-elle.

Des familles au bord de l’implosion

« Le plus gros enjeu, c’est le confinement des familles, c’est tendu. Il y a des gamins qui étaient extrêmement sous pression dans leurs cellules familiales. On réfléchissait à des placements et il y a eu le confinement, donc ça a explosé dans les familles. Ces situations de crise, elles engendrent des fugues par exemple et on ne sait pas ce que les jeunes ramènent quand ils reviennent. Du coup la plus grande difficulté pour maintenir le travail, c’est le manque de proximité de la famille dans l’accompagnement, et par téléphone c’est compliqué. C’est pour ça qu’on réfléchit à comment retourner à domicile pour désamorcer tout ça.

On a eu affaire à des cas compliqués. Comme par exemple celui d’une jeune fille qui était happée par un réseau de prostitution et qui s’est exposée en fuguant tous les quatre matins. Le souci, c’est qu’elle rentrait dans son domicile et qu’il y avait des enfants en bas âge. Donc la situation a dégénéré avec sa mère et elles en sont venues aux mains. Il y a aussi juste les jeunes qui ne s’entendent pas avec leurs parents mais qui doivent cohabiter.« 

Une reprise à tâtons

A l’annonce du déconfinement, le service de Lila s’est vite organisé. Des masques, des gels, et des visières ont été commandés pour être mis à disposition dans chaque bureaux. Mais l’installation vitre en Plexiglass prévue pour les rendez-vous, laisse l’assistante sociale dubitative. »Personnellement, je refuse la vitre en Plexiglass. Je trouve que ça fait très connoté boxe des condamnés au tribunal et  je ne veux pas ça pour mes gamins » lâche la jeune femme. « On ne sait pas comment vont réagir les familles. Elles refuseront peut-être les entretiens sans cette vitre” explique Lila. Alors pour envisager toutes les possibilités, l’assistante sociale a demandé à ce que certains bureaux soient équipés et pas d’autres, pour switcher.

Pour ce qui est dû lien avec les familles, c’est encore une autre organisation « il va falloir que l’on voit les familles et les jeunes. Ce qui veut dire au domicile. Donc on attend les nouvelles procédures sanitaires.« 

*par mesure d’anonymat, le prénom a été changé.

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