Billet d’humeur
Nous sommes ces femmes de la génération Millennials, ou génération Y pour d’autres. Bref, ces femmes nées entre le début des années 80 et le milieu des années 90. Nos enfances ? elles étaient pleines d’insouciance, nous, les « petites princesses » de nos parents. Nous avons évolué dans des écoles mixtes où, à la récré, nous étions libres de jouer à la marelle ou au foot, même si majoritairement les ballons restaient aux pieds des garçons. Nous sommes la génération des premiers ordinateurs, des jeux vidéos et des game boys. Les garçons jouaient à Mario et nous on s’occupaient de nos tamagochi.
Comme pour beaucoup de jeunes filles, notre adolescence est arrivée subitement, à la manière d’un couperet. Toutes, nous nous souvenons de ce moment gênant où nous devions annoncer à nos mères, en chuchotant, que… « ça y est » et on nous répondait, comme on le fait depuis des millénaires « Tu es une femme maintenant. » Etre une femme… oui mais comment ?
Et puis il y a les premières vraies copines, les petites sorties où on se sentait déjà « grandes » les premiers copains aussi, les premiers émois… Nous partagions nos vies quotidiennes sur des skyblog, nous allions sur MSN Messenger… Nous inventions les premières abréviations fracassantes du type « tkt » et on s’amusait bien. Jusqu’à ce qu’apparaisse sur l’écran une pub pour un site pornographique. On a beau fermer la fenêtre rapidement, l’image dans la tête, elle, reste. Et puis sur les Tchat, il y avait ces « Bogossdu12 » ou « Lhomme2téRev » qui te demandent si tu peux allumer ta webcam… Un conseil à nos petites sœurs, ne l’allumez jamais cette webcam. Pour beaucoup d’entre nous, l’éducation sexuelle s’est faite par accident, en ligne, malgré toute la bonne volonté de nos parents. Souvent lorsque l’on est une jeune femme, on prend un peu peur. Lorsque l’on est un jeune garçon, j’imagine que l’on se dit que « ben…c’est comme ça ». Alors forcément, quand nos copines racontent leur première fois, c’est rarement romantique, c’est peu délicat voire violent ou traumatisant. Bien sûr et heureusement, ce n’est pas le cas de toutes. Mais quand même… L’éducation sexuelle par la pornographie, oui, ça fait des dégâts.
On a grandi malgré tout, on a eu nos premiers jobs. Nos premiers collègues de boulots. Il y a ceux qui sont super sympas et puis parfois il y a ce lourdot… « Il te va bien ce jean ! », « Tu devrais essayer de venir sans soutien-gorge la prochaine fois… ». Longtemps, on a pris ça pour une boutade un peu lourde. Et on a rien dit . On a rien dit, même quand ce fameux lourdot nous parlait d’un peu trop près à la machine à café. Et puis, il y a eu le mouvement #balancetonporc en 2018. Alors, on a compris.
Oui on a compris, nous toutes, que nous nous êtions trop longtemps tues. Que l’on aurait dû dire à papa ce que nous avait montré « Bogossdu12 » avec sa fameuse webcam, que nous aurions du dire à maman que si on avait eu une note pourrie au contrôle de maths c’est juste parce que la veille, notre petit copain nous avait traité de « salope » pendant que nous,nous pensions « faire l’amour ». Nous avons regretté de ne pas avoir giflé Monsieur Lourdot quand il pensait nous flatter en nous disant que « s’il avait eu 20 ans de moins… ».
Oui c’est pathétique, oui c’est alarmant…mais c’est bel et bien réel.
Aujourd’hui nous sommes des femmes, des grandes sœurs, des épouses ou mêmes des mères pour certaines. Et nous qui pensions que nos grand-mères avaient gagné tous les combats, on se retrouve à devoir reprendre les armes. S’armer, oui, mais contre qui ? Pas contre les hommes. Pas tous. On s’y refuse. On les aime tant…Nos pères, nos frères, nos potes, nos maris, nos fils. Notre arme à nous, en tant que femme, ça sera la parole. Ça sera de ne plus se taire, d’éduquer et de prévenir.
Nous ne prétendons pas parler au nom des femmes du monde entier, nous n’en avons ni la prétention ni la carrure. Mais nous sommes cinq femmes de cette génération-là et si nous avons créé ce média, c’est parce que, comme beaucoup, nous aspirons à la prise de paroles, de position et non de pouvoir. A chacune son parcours, à chacune ses valeurs. Ce que nous voulons, c’est dire ce que nous voyons, ce que disent nos yeux de ce à quoi nous rêvons. Souvent on entend « le combat est encore long », certes, mais aujourd’hui c’est à la paix que nous aspirons.
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